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La rencontre sur la réconciliation nationale qui s’est déroulée au CCI d’Ivato n’a pas manqué de soulever des débats au sein de la classe politique. Et pour cause, les idées issues de ces assises ne font pas l’unanimité. Anaclet Imbiky, ancien Garde des sceaux-ministre de la Justice, et auteur de l’ouvrage «La réconciliation à Madagascar : une perspective complexe et difficile» paru aux éditions L’Harmattan nous livre ses impressions. Interview.
Les Nouvelles : Il semble que les dernières assises nationales aient provoqué plus de troubles que d’apaisement au sein de l’opinion. Pourquoi cela, d’après vous ?
Anaclet Imbiki (-) : De troubles, il y a là une exagération. Mais effectivement pour quatre raisons essentielles, il y a des inquiétudes, voire des mécontentements ou des frustrations. D’abord, parce que les participants s’attendaient, à juste titre d’ailleurs, à ce que leurs souhaits reçoivent immédiatement exécution. Ce qui n’est pas encore le cas sauf pour l’abrogation du décret d’assignation à résidence fixe de l’ancien Président Marc Ravalomanana. Ensuite, parce que d’aucuns estiment même que les participants et ce qu’ils croient être leurs résolutions, ont fait l’objet de manipulation politique. Après, l’exigence des frais de participation de 200. 000 ariary a provoqué des mécontentements légitimes, car elle constitue un handicap sérieux, injuste et flagrant au préjudice des personnes dépourvues de moyens financiers, surtout celles habitant les régions éloignées d’Antananarivo, tout en favorisant les riches qui ont la possibilité de payer pour de nombreuses personnes dans le but de soutenir leurs idées et intérêts. Enfin, certains sont convaincus qu’il y a une collusion ou une partialité du FFKM et le pouvoir en faveur du Président Ravalomanana et de ses intérêts.
L’opinion continue de s’interroger sur la représentativité des participants. Votre opinion ?
-Il est incontestable que les participants ne représentaient pas la population malgache car celle-ci ne les ont pas mandatés pour parler et agir en son nom et pour son compte à la conférence nationale. Mais il n’en demeure pas moins que, issus des différents milieux politiques, économiques et sociaux du pays, ils reflètent l’opinion publique sur les préoccupations majeures des Malgaches relatives aux crises politiques, à la répulsion ou à la crise de confiance des citoyens contre les politiques à cause de leur manque d’éthique et de non-respect des engagements, d’absence de préoccupation de l’intérêt général ou celui de la nation, de leur versatilité politique en retournant fréquemment leur veste par changement de camp, de leur corruption ou leur népotisme. En tout cas, partout où il y avait un dialogue national de résolution de crises politiques, le schéma est le même : ce sont des élus, des représentants des partis politiques, de la société civile, économique, religieuse et traditionnelle, des notables qui adoptent des résolutions à mettre en œuvre.
Sur le plan de la légalité, une rencontre de ce genre est-elle apte à modifier la Constitution ?
-La seule possibilité de révision de la Constitution est prévue par son article 163 qui dispose qu’elle peut être révisée, en cas de «nécessité jugée impérieuse», soit, sur initiative du président de la République statuant en Conseil des ministres, soit par les ? des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, sur initiative des assemblées parlementaires statuant par un vote séparé à la majorité des 2/3. L’effectivité des motions ou desiderata d’un Dialogue national dépend donc de la bonne volonté du chef de l’Etat ou du Parlement.
Personnellement, je pense qu’une nouvelle Constitution s’impose. En effet, d’abord, la Constitution du 11 décembre 2010 a été élaborée sur la base des résolutions de la conférence nationale sans consensualité de septembre 2010, après des manœuvres politiques très critiquées. En effet, au lieu du nombre de 12 participants par district, soit 1428 pour 119 districts, disons de l’ordre de 2.000 personnes pour tenir compte des personnalités n’ayant pas participé aux rencontres de base, ils étaient environ 5.000, parmi lesquels se trouvaient de nombreux candidats non choisis par la base lors des «Dinika Santatra». Vous pouvez aisément deviner qui a choisi les 3.000 participants supplémentaires imprévus et dans quel objectif ?
-Ensuite, elle était conçue au cours de la Transition avec l’esprit et le rapport de forces prévalant à l’époque. Actuellement, après la sortie de la crise, en vue de la refondation de la nation et de la République exigeant la rupture avec le passé, promise aux citoyens, et pour faire face à la difficile lutte contre la pauvreté et pour le développement souhaité, une nouvelle vision marquée par une nouvelle Constitution s’impose, en dépit de nombreuses heureuses dispositions de l’actuelle Loi fondamentale. En effet, outre le choix de la forme de l’Etat, il faut revoir les questions centrales suivantes : le caractère du régime politique, le renforcement du mécanisme de la séparation des pouvoirs (sauf en cas de régime présidentiel), la nécessité du choix du Premier ministre par le président de la République élu au suffrage universel direct pour la mise en œuvre de son programme électoral, la nécessité de mettre fin aux sénateurs nommés et à la présence des membres de l’Exécutif au sein du Conseil supérieur de la Magistrature, le renforcement de l’indépendance de la Justice et des organismes juridictionnels et administratifs de contrôle par le système de nomination et de destitution, pour disposer d’un contre-pouvoir puissant face à l’Exécutif, la fin du principe d’irresponsabilité pénale du président de la République…
Madagascar pourrait-il survivre à un autre Coup d’État ?
-Absolument pas. Le pays ne survivra pas à un autre Coup d’Etat. L’histoire contemporaine nous enseigne qu’il faut avoir présent à l’esprit qu’après toutes les alternances extraconstitutionnelles au pouvoir, le taux de croissance chute inexorablement comme en 1972, 1991, 2002 et 2009, et même jusqu’à un taux négatif. La population s’appauvrit gravement et le taux de la corruption atteint un niveau record, tandis qu’on assiste à la déliquescence de l’Etat avec comme corollaires la menace sur l’unité nationale, la perte de la souveraineté nationale par l’ingérence étrangère, la généralisation de l’insécurité et la justice populaire…
Mais il ne faut pas aussi que les gouvernants, par les atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme, ainsi que par la mauvaise gouvernance économique et financière, donnent de prétextes aux professionnels d’agitations politiques qui sont presque les mêmes pour toutes les crises politiques. Ces derniers savent pertinemment qu’ils ne pourront accéder au pouvoir autrement que grâce à des coups d’Etat ou un régime extraconstitutionnel, mais jamais par des élections.
Propos recueillis par Jao Patricius