
L’ancien chef de Région d’Alaotra-Mangoro, Jean-Yves Ranaivonirina s’exprime pour la première fois depuis qu’il été démis de ses fonctions. Il estime qu’il s’agit là d’une raison d’Etat à laquelle toute haute personnalité doit se soumettre. Dans une interview, il a plaidé pour la décentralisation effective pour permettre aux différentes régions de se développer.
* Les Nouvelles : Vous venez d’être demis de vos fonctions de chef de Région d’Alaotra-Mangoro. Comment avez-vous accueilli la décision ?
-Jean-Yves Ranaivonirina: Effectivement comme tout être humain qui reçoit à un moment donné de sa vie de très mauvaises nouvelles, j’étais abattu comme si le ciel m’était tombé sur la tête et je me posais beaucoup de questions : pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’avais fait ? Comment je vais affronter l’avenir après cette « défaite » ?
*Parce que s’agit-il d’une défaite ?
-Effectivement et je dois le dire, j’ai pris ce limogeage comme une défaite, voire comme une méchanceté inimaginable quand on n’a pas ce sentiment d’avoir fait du mal à qui que ce soit mais au contraire avoir le sentiment d’avoir servi des causes communes. Ce deuxième semestre de ma gouvernance de la région est plein d’événements importants dans le sens des intérêts de la Région Alaotra-Mangoro. On peut citer la mise en place d’une coopération décentralisée que j’ai concoctée depuis longtemps avec l’Ambassade de France, ou encore le lancement d’une coopération d’envergure avec les différentes sociétés et industries. Par souci de cohérence des actions au niveau des démembrements de la Région et pour des résultats concrets à base d’une synergie sans faille, j’ai tout fait avec mon équipe pour avoir au moins les 50% des maires dans la Région. C’est très important voire vital dans ma future gestion car il nous faut une stabilité fondée sur une certaine majorité dans la prise de décision.
*Et maintenant…
-Malgré tout, le choc de cette amertume n’avait duré que deux jours au maximum et il se tassait au fond de moi-même une volonté de ne pas se laisser bloquer par un mur pareil. Avec un peu de discernement, le sentiment d’un nouveau rebond prédomine et j’ai ressenti de nouveau la joie de pouvoir laisser en héritage tout ce que j’avais entrepris avec mon équipe.
*Par contre, des informations puisées sur place font état de vrai mécontentement de quelques personnalités influentes de la Région qui veulent à tout prix vous garder à la tête de la Région ?
-Oui ce mécontentement existe et on m’a même contacté pour m’en faire part mais je n’y ai pas donné suite. Je remercie beaucoup ces gens qui me soutiennent presque sans condition mais je n’irai jamais jusqu’à contester un décret d’abrogation de ma nomination. Je suis un haut employé de l’Etat. On m’a nommé à ce poste pour servir l’Etat et la Région. Pour être à ce poste, on m’a exigé un comportement exemplaire de loyauté dans mon service et vis-à-vis de mes chefs hiérarchiques, dont le ministre de tutelle, le Premier ministre et le Président de la République. Si l’Etat trouve une raison pour que je ne continue plus cette mission, est-ce que j’ai le droit de contester sa décision ?
*C’est au nom de l’alternance au pouvoir donc…
Les gens ont l’habitude de juger les autres d’une manière superficielle ou en fonction de leurs intérêts personnels et croient, qu’en me provoquant, en induisant en erreur les décideurs politiques, je foncerais tête baissée dans une aventure sans lendemain. Je ne ferai jamais cela car quoi qu’on dise quoi qu’on pense personne ne peut se mesurer à une raison d’Etat. D’autant plus que devant les gouvernés et au nom de l’éthique et de la déontologie de gouvernance, je ne dois pas faire montre d’un comportement qui risquerait de ne pas être compris.
Par ailleurs, Saint-Exupéry disait dans « Vol de nuit » que l’Homme se découvre devant un obstacle. La meilleure façon de vaincre une difficulté est de se frayer chemin dans les décombres pour identifier rapidement une nouvelle piste à prendre. Et là, on a intérêt à ne blesser personne car l’essentiel est de rebondir.
*Etes-vous en train de donner une nouvelle leçon de gouvernance dans ce monde politique en perpétuel cafouillage où on profite de chaque occasion qui se présente pour déstabiliser le système ?
-Je ne me permettrais pas de donner des leçons à qui que ce soit, c’est juste un comportement très personnel qui tente, tant bien que mal, d’expliquer mon présent par mon passé. A part mon cursus universitaire et mes expériences professionnelles, je suis membre d’un club de services et de réseaux socioprofessionnels importants. Mon appartenance à ces entités m’a formé pour avoir une personnalité solide, un comportement qui rejette toute forme d’insubordination et de trahison. Je resterai membre actif de mon parti HVM et je cultiverai toujours mes anciennes relations pour le bien de ma Région. Du moment où on accède à un poste pareil, on doit préserver scrupuleusement l’éthique de la continuité de l’Etat.
*Avec un peu de recul nous vous demandons de nous livrer d’une manière plus libre maintenant votre opinion très personnelle sur l’importance des Régions dans la gestion globale des affaires nationales.
-J’ai toujours essayé d’être très objectif dans mes analyses et informations à faire parvenir au sommet de l’Etat. C’est la vision objective des choses qui fait avancer la gestion des affaires nationales comme vous dites. Très sincèrement, je trouve que la région est un instrument important pour rendre effective une politique de proximité. Si on raisonne seulement en termes de province, on risque de ne pas reconnaître la spécificité géographique, écologique, économique, culturelle et sociologique de la plupart des zones géographiques d’importance. Madagascar reste ce presque petit continent avec une grande diversité dans tous les domaines. Comment gérer administrativement ces grandes variétés au sein d’une seule province sans ces régions. J’estime même que quelques zones administratives ont encore besoin d’être élevées au rang de Région en raison de leur spécificité. Ces spécificités ne sont pas des différences pour la divergence mais des différences pour être les richesses complémentaires à mobiliser d’une région.
* A ce sujet, quels sont les obstacles ?
-La Région doit être ce genou qui articule les bases de l’Etat et de la société malgache mais encore faut-il qu’elle ait les moyens de sa politique. Il faut alors cette décentralisation effective sinon tout reste aléatoire et utopique. Cette absence de l’autorité de l’Etat, ces trafics illicites presque incontrôlables, ce manque de dynamisme socioéconomique et cette absence chronique de données de base fiable sont les résultats directs de la fébrilité de la gestion des Régions par manque des moyens. Bref, la mauvaise gouvernance que les partenaires techniques et financiers relèvent de temps à autre est le reflet direct d’une fragilité au niveau des Régions.
Propos recueillis par James Ranary
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