Le climat d’Analamanga est traître. Il est tempéré, d’une grande douceur en été comme en hiver, comme s’il était en accord avec la culture de la tempérance qui fait notre marque de fabrique. Ce climat est traître parce qu’on y oublie trop vite les intempéries de la saison précédente ; dans quelques mois, les tanety seront recouvertes d’une herbe sèche et drue. Pendant la saison sèche, quelques mois à attendre seulement, nous oublierons que l’eau est partout dans les plaines, dans les rizières et dans les marécages asséchés. On aura froid la nuit? L’hiver austral est si bref et si ensoleillé qu’on patientera tranquillement que fleurissent les arbres fruitiers puis les jacarandas… ensuite on regardera l’extraordinaire bleu du ciel d’Imerina en attendant la pluie, qui viendra, c’est sûr. Et l’année passera…
Cette année pourtant, les pluies ont eu raison de notre nonchalance et de notre attentisme. Nous prenons lentement conscience que l’urbanisation sauvage des plaines au pays des villages-collines est une hérésie ; nous payons au prix fort l’exode rural incontrôlé, l’anarchie comme mode de vie et surtout une politique de la ville inexistante.
Nos édiles ne sont pas les premiers à se préoccuper des problèmes liés aux inondations et à l’évacuation des eaux de pluie. Dès le XVIIè siècle, les villes européennes font appel aux Hollandais qui ont appris à maîtriser le chemin des eaux de rivière en créant des canaux dans leurs villes entourées d’eau ou bâties sur l’eau. Ainsi dès 1722, la ville de Paris comptera trente pompes sur le modèle hollandais Van der Hayden. Ce système de pompes actionnées à la main et pourvues d’une réserve est le domaine d’un corps spécial et permanent qu’on appellera les pompiers.
Loin de l’Europe, mais pas si loin d’ici quand on considère notre aire culturelle, la plus grande cité de l’ère préindustrielle, Angkor, capitale de l’ancien empire khmer, était planifiée autour de canaux qui reliaient des villages bâtis sur des tertres. A son apogée, grâce à une gestion maîtrisée de l’eau, des centaines de milliers d’individus, peut-être un million d’habitants, vivaient dans des cités-jardins où l’on pratiquait une agriculture intensive. La distribution des eaux permettait plusieurs récoltes par an en gérant aussi bien les périodes de sécheresse que les pluies des moussons. Angkor était à son apogée une « usine agraire ». La surexploitation du sol, la déforestation, la sécheresse et l’avidité de voisins prêts à en découdre avec les Khmers ont sonné le glas de la cité qui contrôlait les eaux.
Demain il fera beau mais nous devrions nous inspirer de ces modèles lointains et écouter les gens de la terre qui connaissent le chemin de l’eau au pays des villages-collines. Demain il fera beau mais après-demain, la pluie reviendra.
Kemba Ranavela