Pour exercer leur métier dans les zones de conflit, les journalistes font appel aux services des fixeurs. Un fixeur, de l’anglais fixer, dépanne, c’est l’intermédiaire indispensable entre le journaliste et ceux qu’il veut rencontrer pour mener à bien son reportage. Guide, interprète, chauffeur, négociateur, anthropologue de fortune, il crée et réinvente ses fonctions au gré des besoins du journaliste. Ce métier de l’ombre est mal connu du grand public : le nom d’un fixeur peut apparaître au cours d’un article mais la discrétion est de rigueur pour une prise de risque toujours importante dans un pays en guerre. Un fixeur reconnu pour son efficacité et sa diligence travaille avec plusieurs journalistes, son nom circule dans les agences de presse.
Madagascar n’est pas une zone de conflit mais on y pratique aussi le métier de fixeur. La prise de risque n’est certes pas la même qu’en Afghanistan ou en Somalie et c’est ici un métier qui n’a qu’un lien superficiel avec le monde de la presse. Pour le reste, les concordances sont étonnantes : le fixeur doit être aussi discret qu’efficace, il doit avoir des accointances avec les milieux les plus divers, un carnet d’adresses très fourni et de bonnes relations avec quelques personnes-clé des services administratifs. Comme dans les zones de conflit, on sait dans notre pacifique pays qu’il est très difficile d’obtenir gain de cause (autorisation, permis, licence, décision, rendez-vous, etc.) sans passer par l’expertise du fixeur. Son nom circule aussi dans les milieux autorisés.
Lassés par les heures perdues au téléphone ou dans les bureaux, nous avons pris l’habitude de louer les services d’un fixeur qui pour gagner sa vie ira perdre du temps à notre place dans les méandres de notre labyrinthique administration. Homme à tout faire d’un genre nouveau, ce facilitateur est devenu irremplaçable pour nous épargner le cauchemar des bureaux. Tout le monde connaît un fixeur qui a ses entrées dans tel ou tel service. Mieux encore, les happy few ont leur(s) fixeur(s) particulier(s), perles rares dont on se transmet discrètement le nom.
Comme les journalistes, nous sommes finalement dépendants du fixeur que nous rétribuons pour services officieux. Son numéro figure en bonne place dans notre répertoire de téléphone. Mais peu reconnu et peu respecté, l’intermédiaire qui nous dépanne et nous facilite la vie ne peut pas faire étalage de ses compétences sur la place publique. Le bouche-à-oreille est son meilleur curriculum vitae mais qu’il sache rester discret : ce serait du plus mauvais goût d’inviter la face obscure de notre quotidien à notre table.
Kemba Ranavela