On ne le nommera pas. Il a d’abord été insignifiant, quantité négligeable à nos yeux. Les années passant, le rapport de forces s’est inversé, il est maintenant durablement installé. Il est devenu David et on s’est assoupi dans le rôle de Goliath. Après avoir timidement amorcé un premier miracle économique dans les années quatre-vingt, il affirme vouloir réaliser un second miracle économique à l’horizon 2030. David a pris de la bouteille et ne s’en cache pas. On aurait presque envie d’applaudir la performance mais on n’ose pas. C’est qu’il nous propose, en bon voisin, de participer à son second miracle. Notre contribution se comptera en individus qui grossiront les rangs de la main-d’œuvre étrangère peu qualifiée. On ravale son amertume et on tait sa susceptibilité. Difficile mais pas impossible chez nous : on sait garder son quant-à-soi. Allez grande île, haut les cœurs !
Si l’on s’en tient à la définition du Petit Robert, le miracle est un « fait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention divine bienveillante, auquel on confère une signification spirituelle ». Heureux les humbles, on est bien au pays des miracles. Les nouvelles Eglises et leurs prédicateurs nous promettent monts et merveilles avec un tel enthousiasme qu’on a envie d’y croire. Mais en toute lucidité, on ne s’autorise pas à rêver d’un miracle économique dans un avenir proche. Non… Nos préoccupations sont autrement plus prosaïques. Si l’élévation spirituelle est hautement recommandable, nous ne sommes pas que de purs esprits. Toute honte bue, la pudeur reléguée au fond d’un placard, on se plaît à rêver d’un pays sans défécation à l’air libre, épargné par la peste et le choléra qui s’invitent chroniquement chez nous. On ne le dit pas trop fort… mais on veut bien ajouter quelques prières pour qu’un miracle advienne. Seulement, on préfèrerait le faire dans des conditions sanitaires pas trop déplorables. Après avoir pris une douche le matin au réveil, par exemple. Mais quand on a la chance d’avoir de l’eau le matin, on se contente d’un ridicule filet qui s’écoule du robinet. Priez le soir ! Quelle idée lumineuse ! C’est effectivement entre vingt-trois heures et deux heures du matin qu’on peut procéder à ses ablutions. A la lueur des bougies bien sûr. Comme c’est embêtant… Cela explique toutefois que le miracle n’a pas encore eu lieu. Les prières ne sont pas suffisamment efficaces. On connaît la recette : ravaler son amertume, taire sa susceptibilité et garder son quant-à-soi. On peut aussi prendre exemple sur le voisin miraculé.
Kemba Ranavela