
Cette semaine marque un tournant dans le bras de fer entre la BanqueCentrale de Madagascar (BCM) et les banques commerciales du pays depuis début 2014. Face à la pression des grands bailleurs de fond internationaux, la BCM décide vendredi 4 septembre de publier les taux
maximum et les plus bas auxquels la monnaie malgache s’échange quotidiennement sur le MID (Marché Interbancaire des Devises). Ces taux officiels se rapprochent discrètement de ceux du marché.
Une bataille de longue haleine pour un taux de change identique va peut être prendre fin suite au choix cette semaine de la Banque Centrale de Madagascar. L’organe d’Etat décide désormais d’afficher un taux plafond et plancher journalier du MID. Cette fourchette avoisine maintenant le taux du marché communiqué par la majorité des banques commerciales. Ainsi, en août dernier, alors que la BCM affichait un taux de 3200 MGA pour un €, le taux effectif du MID publié par les banques s’élevait à un peu plus de 3650. Au 9 septembre, le taux BCM/€ est compris entre 3400 et 3511 MGA.
Opérations buy-back
A en croire de nombreuses sources, l’écart entre le taux réel et celui du marché creusé depuis 2014 résulterait d’une part, d’une divergence dans le calcul de la moyenne des montants de transaction et, d’autre part, des interventions à répétition de la BCM sur son marché monétaire. Alors que cette dernière mesure chaque jour une moyenne pondérée du taux auquel l’ariary s’est échangé, chaque banque prend en compte ses propres transactions journalières. Le marché s’autorégule et le cours des devises évalué par une banque est très proche de celui de ses consœurs. Selon Patrick Amir Imam, Représentant Résident du FMI à Madagascar, la BCM, créée en 1973 pour la garantie de la stabilité monétaire, aurait largement recours à son « droit d’intervenir sur le Marché du MID au comptant » instauré par le décret n°2004-731 (site de la Banque Centrale malgache). La Banque d’Etat réaliserait des opérations d’achat et vente sans transfert de cash appelées buy-back sur le MID via certaines banques commerciales de la place. Ces transactions d’aller-retour seraient bien prises en compte par la BCM dans sa moyenne pondérée du jour. Un indice financier qui fausserait donc le cours de l’ariary officiel publié par la Banque primaire.
Manque de transparence
Le FMI note que « les opérations circulaires bilatérales gonflent le volume des transactions enregistrées et poussent à afficher un cours moyen quotidien de l’ariary moins déprécié que le cours auquel se traitent les opérations du MID entre banques et des banques avec leurs clients ». Et le FMI d’ajouter que « ces interventions portent atteinte à la transparence d’un prix essentiel au bon fonctionnement de l’économie malgache et privent le secteur privé productif d’un repère fiable du taux de change ». L’arrêt de cette manipulation est donc largement souhaitable par le bailleur de fond.
Risque d’inflation
La fin des interventions de la BCM pourrait à court terme aboutir à une dévaluation importante de la monnaie nationale. En effet, entre le 2 et le 30 mars 2015, suite à la visite d’une mission du FMI à Tana, la Banque Centrale avait tenté de jouer les bons élèves en laissant le cours de l’ariary fluctuer librement sur le marché des changes. Les conséquences se sont faites ressentir rapidement puisque le cours est passé en un mois d’un taux officiel en € proche de 2900 à une valeur avoisinant les 3200 obligeant la BCM à un retour à l’ingérence officieuse. L’inflation est la conséquence directe de cette
dévaluation rapide et la plus crainte par les autorités car l’augmentation des prix entraînerait certainement des tensions sociales au sein de la population.
Timing adéquat
Néanmoins, la décision de la Banque Centrale de limiter ses interventions sur le MID arrive à point nommé. En effet, la dévaluation de l’ariary est en partie due à la rareté des devises sur le territoire. L’exportation des marchandises malgaches à l’international aboutit logiquement à l’importation de devises et à l’augmentation des volumes de monnaies étrangères sur le sol malgache.
Ainsi, les résultats financiers des exportations de vanille et de girofle fin novembre devraient limiter la dévaluation de l’ariary via l’entrée massive de capitaux étrangers (paiement des fournisseurs
locaux). D’autre part, une série de mesures législatives accompagnent le changement de stratégie de la BCM. Dans ce contexte, l’arrêté du 7 août 2015 par proposition du Ministère des Finances et du Budget de Madagascar stipule que « tout exportateur de marchandises et tout prestataire de service régis par le droit commun doivent céder 100% de leurs recettes d’exportation. La cession de ces devises doit être effectuée sur le marché des changes dès rapatriement sans excéder un délai de 30 jours». La Loi Financière Rectificative prochainement inscrite au calendrier de l’Assemblée Nationale devrait elle aussi freiner la flambée possible de prix grâce à son durcissement des règles strictes imposées aux importateurs payant en devises étrangères. L’augmentation des IDE (Investissements Directs Etrangers) et l’arrivée d’investisseurs internationaux via des concessions d’Etat apparaît ces derniers temps comme une solution prisée par le secteur public et devrait devenir de plus en plus répandue dans les prochains mois. En 2015, l’Agence Wallone à l’Export évalue les investissements
injectés dans le pays à $USD 1751 soit 4,76% du PIB national. Enfin, en cas d’inflation, la BCM peut agir sur la masse monétaire et diminuer son volume en ayant recours à des appels d’offre négatifs
(AON). Cette solution est déjà utilisée puisqu’il s’agit simplement d’un phénomène bien connu qu’est la vente de titres financiers auprès des banques commerciales et des particuliers.
Volume de réserve stable
Néanmoins, la nature des prétendues interventions buy-back de la BCM semblerait entrer en adéquation avec son objectif initial de maintenir la stabilité monétaire tout en lui permettant de ne changer en rien ses réserves en devises. Le FMI a exhorté en janvier 2015 la Banque Centrale malgache de maintenir un stock de 3,5 mois sous-entendu d’importations. Une recommandation apparemment suivie par la concernée selon les économistes. Ce dernier point est important
puisque les stocks de monnaies étrangères à la BCM sont essentiels en cas de crise mondiale.
Le Fond Elargi de Crédit en jeu
La décision de la Banque Centrale s’inscrit dans une stratégie à court et moyen termes. En effet, la publication de ce double taux proche de celui du marché survient juste avant l’arrivée ce jeudi 10 septembre d’une mission du Fond Monétaire International à Antananarivo. Jusqu’au 22 septembre, $47,1 millions de FCR (Facilité de Crédit Rapide) seront négociés entre le gouvernement malgache et la commission de Washington. La somme débloquée sera destinée au soutien des programmes
de réformes nationales prévus pour les six prochains mois. Le FCR a pour objectif unique la stabilisation de la balance des paiements et s’étale sur une période d’un an. Le pays avait déjà bénéficié d’un prêt d’une valeur identique en juillet 2014. La somme est directement injectée dans les caisses de la BCM. Elle gonflera ainsi le volume de réserve en devises. Outre les effets à court terme de ce déblocage de fond, l’obtention du FCR permet surtout le déclanchement de nouvelles
négociations dont la portée sera beaucoup plus importante. Ainsi, il ouvre la voie aux discussions portant sur un Fond Elargi de Credit (FEC) pour 2016 qui serait destiné dans l’immédiat à appuyer les
efforts du gouvernement dans son ambition de rééquilibrer les dépenses publiques. La baisse de la dette publique de Madagascar est un enjeu actuel primordial pour le pays. Elle s’élève en 2014 à 34,9% du PIB selon le magazine français Les Echos. Dans une perspective plus globale, la confiance accordée par le FMI pourrait inciter les autres bailleurs de fond à assister le pays à leur tour.
Dynamiser les exportations
La dévaluation va permettre de relancer les exportations, via la baisse du prix des produits malgaches pour les acheteurs étrangers.
Selon l’Agence Wallonne à l’Exportation et aux Investissements étrangers (AWEX), la balance commerciale de Madagascar en 2015 est de $USD -2409,10 millions représentant ainsi -18,36% du PIB. La même source évalue les importations à $USD 3269 millions contre seulement $USD 859 millions de marchandises à l’export. La relance des exportations est donc une priorité pour le gouvernement malgache s’il souhaite améliorer la situation économique du pays. La dévaluation de
la monnaie locale peut donc être une première solution. Mais cette relance des « exportations » ne sera pas immédiate. En effet, comme le précise l’économiste Rado Ratobisaona, enseignant à l’Institut Politique de Tana, « il faut en effet un certain laps de temps pour que les exportateurs de la Grande Île mettent en place les capacités de production pour répondre à cette hausse de la demande étrangère (nouvelles machines, embauches…) et un délai supplémentaire pour que les acheteurs étrangers trouvent les bons fournisseurs et signent de nouveaux contrats ». Cette hausse des exportations est appelée « effet-volume » de la dévaluation. Il ajoute que « « la capacité de production nationale est déjà saturée. Ainsi, le gouvernement doit impérativement intervenir sur le marché réel pour stimuler le secteur privé et booster le système de production ».